La révolution des pratiques exemplaires dans le domaine des TI
Inquiets face à la complexité croissante des TI, les dirigeants exigent qu’elles rendent des comptes en toute transparence, aussi bien aux utilisateurs qu’à l’entreprise. Pour ce faire, les services de TI adoptent des cadres référentiels de pratiques exemplaires qui reflètent les cadres communs des activités stratégiques.
En 1949, le gouvernement des États-Unis envoyait au Japon un expert en qualité industrielle chargé d’aider le pays à se remettre sur pied après la guerre. Cet expert, du nom de J. Edwards Deming, y implanta des pratiques révolutionnaires qui ont permis au Japon de s’imposer dans le secteur manufacturier. À l’époque, M. Deming n’avait que très peu d’adeptes chez ses compatriotes. Cependant, lorsque les voitures japonaises ont commencé à faire leur apparition un peu partout en Amérique du Nord, les industriels de Détroit ont compris le message, et le principe révolutionnaire de la production au plus juste s’est rapidement répandu dans les usines américaines et canadiennes. De nos jours, on utilise les méthodes de contrôle de la qualité découlant des principes de Deming dans les usines du monde entier.
Il aura fallu un certain temps, mais les TI emboîtent finalement le pas. S’appuyant sur des cadres référentiels de pratiques exemplaires, les entreprises appliquent les mêmes principes que ceux préconisés par M. Deming dans le but d’optimiser la valeur de leurs ressources de TI et de répondre plus directement aux besoins des utilisateurs et des opérations.
Promouvoir la gestion globale
Dans bien des entreprises, les progrès technologiques, comme le développement d’Internet, bousculent les échéanciers. Comme le souligne Keith Vincent, responsable des pratiques nationales chez Services mondiaux IBM : « Tandis que nous progressons vers l’omniprésence de l’informatique, les clients se rendent compte qu’ils doivent améliorer leur façon de gérer leur environnement. » Keith Vincent fait ressortir certains facteurs clés très précis : « Bien évidemment, il y a la technologie. Et à mesure que celle-ci se rapproche de chaque utilisateur final, les problèmes deviennent de plus en plus évidents. Il y a aussi le simple accroissement du volume des entités à gérer. »
La nécessité de contenir les coûts représente un autre facteur clé. Comme l’explique John Deland, conseiller de direction chez CGI à Ottawa, le problème vient du fait que dans bon nombre d’entreprises, on ne connaît pas vraiment les avantages que l’on tire de chaque dollar investi dans les TI. « On sait à combien s’élève le coût d’exploitation global des TI, mais on n’arrive pas à cerner les coûts individuels des différents services; il est donc difficile de financer le développement de ces services, car on est incapable d’établir la relation entre l’avantage commercial que procure le service et son coût. »
Pour résoudre ce problème, l’industrie a recours à divers référentiels de pratiques exemplaires, dont le plus important est un ensemble de connaissances regroupées dans une bibliothèque d’infrastructures informatiques appelée ITIL (Information Technology Infrastructure Library). Développée au Royaume-Uni dans les années 1980 en vue d’améliorer les services des TI au sein des organismes gouvernementaux, l’ITIL fait maintenant autorité à l’échelle mondiale. Plus de 100 000 professionnels des TI ont suivi une formation agréée par l’ITIL et des chefs de file comme IBM, HP et EDS ont normalisé leurs activités de service en fonction des critères établis par l’ITIL.
Le plus précieux apport de l’ITIL est certainement l’établissement d’une pratique de gestion des services informatiques appelée ITSM (IT Service Management). Dans des environnements non soumis aux principes de gestion, les utilisateurs ont tendance à considérer les TI comme un méli-mélo comprenant ordinateurs portables, logiciels, serveurs, périphériques de stockage, routeurs, appareils sans fil et services en ligne. La pratique ITSM a pour but de changer cette perception en gérant toutes ces ressources de façon globale en vue de fournir des services simples et identifiables.
Création d’un langage commun
C’est grâce aux produits de télécommunications qu’ils utilisent tous les jours que la plupart des gens prennent conscience des services. Les exemples les plus évidents sont les services comme le téléphone de base, la boîte vocale et la câblodistribution. Lorsqu’on décroche le téléphone, on ne pense pas à tous les commutateurs et relais qui entrent en action. L’objectif de la pratique ITSM est de faire en sorte que les choses se passent de la même façon lorsqu’on utilise les TI.
Dans un environnement de TI, par exemple, un client pourrait payer un montant fixe pour obtenir la prise en charge de son environnement bureautique englobant par exemple des outils de base comme le traitement de texte, le tableur, le logiciel de présentation et le courrier électronique. « Si l’on analyse la situation du point de vue de la prestation de services, explique Keith Vincent, la valeur proposée à l’utilisateur consiste en la possibilité d’exploiter les outils bureautiques pour faire fonctionner son entreprise. Le service se résume donc à déployer un environnement bureautique fonctionnel et pris en charge. »
Par contre, la pratique ITSM ne se limite pas à assurer la satisfaction des utilisateurs. Comme le précise Keith Vincent : « Lorsque vous définissez les services, vous déterminez non seulement la proposition de valeur, mais également les indicateurs de coût à un niveau que les entreprises peuvent comprendre facilement. » Par conséquent, « l’ITSM se traduit par un ensemble de services qui devient un langage commun à l’entreprise et aux informaticiens. »
Bien qu’il fournisse les principaux fondements de la pratique ITSM, le cadre de l’ITIL ne permet pas de répondre à toutes les questions, et les entreprises doivent donc se tourner vers d’autres cadres référentiels pour combler les lacunes. Ainsi, on fait souvent appel au référentiel CobIT (Controlled Objectives for Information Technology), financé par le gouvernement américain, notamment lorsqu’on doit régler des questions de gouvernance comme la gestion des risques, la sécurité et le contrôle des coûts. « Je crois que la synergie de l’ITIL avec le CobIT est excellente et très populaire, affirme John Deland de CGI. C’est d’ailleurs ce que fait Ford à Détroit. On y applique le référentiel de l’ITIL, mais sur le plan de l’audit et de l’assurance qualité, on a recours au cadre du CobIT pour la gouvernance. On peut donc dire que le référentiel CobIT intègre de solides processus de vérification, tandis que l’ITIL suggère certaines interventions, sans pour autant les imposer. »
Les avantages, petits et grands
Le Canada est un terreau fertile pour l’implantation du référentiel ITIL : il est même en avance sur les États-Unis à ce chapitre. De fait, bon nombre de professionnels américains ont reçu leur formation au Canada. L’organisme responsable des examens de l’ITIL, EXIN, a une antenne en Amérique du Nord, soit le Loyalist College de Belleville, en Ontario. Toutefois, au cours des dernières années, le Canada a subi un « exode des cerveaux », les professionnels formés à l’ITIL s’expatriant pour répondre à une demande croissante. « On assiste à une grande vague d’adoption aux États-Unis, explique John Deland. Il y a actuellement une pénurie de ressources qualifiées sur le marché canadien, justement à cause de cette migration vers le sud. » Autrement dit, les personnes ayant reçu la formation ITIL commandent des salaires de plus en plus élevés.
Jusqu’à tout récemment, l’implantation de l’ITIL était surtout préconisée par les grandes entreprises, qui disposent de ressources de TI suffisantes pour constituer une équipe de processus. Cependant, un certain nombre de produits et services destinés aux moyennes entreprises font actuellement leur apparition sur le marché. « Nous commençons à adapter certaines de nos solutions ITIL pour qu’elles puissent être mises en œuvre aisément dans des PME », affirme Keith Vincent de chez IBM. La gamme croissante des produits offerts comprend des solutions à processus simplifiés qu’une petite organisation peut rapidement mettre en application dans de petites entreprises, ainsi que des solutions logicielles hébergées, grâce auxquelles les entreprises ont accès à des outils de suivi et de gestion des processus sans devoir immobiliser leur capital. Les impartiteurs sont eux aussi de gros utilisateurs de l’ITIL et ont tendance à implanter les processus ITIL chez leurs clients.
Les démarches entreprises dans le cadre de l’ITSM peuvent viser à la fois des objectifs à court et à long terme. Par exemple, certains processus ITIL aident l’entreprise à mieux gérer ses licences de logiciel, ce qui contribue à réduire ses coûts en lui évitant d’acquérir un trop grand nombre de licences ou de devoir payer des pénalités pour ne pas en avoir acheté assez. Parmi les autres applications tactiques possibles, mentionnons le regroupement et l’amélioration des services de dépannage informatique. Pour leur part, les adeptes du cadre ITIL préfèrent parler d’une vision globale, selon laquelle un service des TI géré de façon exemplaire est immédiatement en mesure d’évaluer l’impact de tout changement sur les facteurs les plus cruciaux de l’entreprise. Ce « Saint-Graal » de l’ITIL, comme se plaît à le nommer John Deland, n’est encore qu’une réalité bien lointaine pour la plupart des entreprises. « Pour y parvenir, il faudra passer par de nombreuses étapes de maturation », soutient-il.